Moment 001.

Le banc de parc du bel impossible.

Depuis le début des années ‘70 (!!), Dominique (c’est un nom fictif) souhaite retrouver un homme qui a traversé sa vie, un peu comme une étoile filante.

C’est que jeune adolescente, Dominique a fait sa connaissance via une amie commune, et elle se rappelle comme si c’était hier d’un véritable coup de cœur pour lui. Sauf que comme elle était déjà en couple à l’époque, et que cette personne sortait en plus d’un petit séjour en prison (pour vol), ses sentiments sont restés emprisonnés à l’intérieur.

Durant une année complète, ils développent une relation d’amitié- Dominique insiste pour me dire que c’était un gentleman qui jamais ne lui a fait d’avances. Lorsqu’elle évoque le banc de parc où il lui avait prêté son manteau pour la réchauffer, on sent toute l’émotion dans sa voix, près de 50 ans plus tard…

Puis, la vie renvoie notre homme vers l’est, dans son coin de pays. Dominique est peinée d’apprendre qu’il est de retour derrière les barreaux (pour la même raison). Peu de temps après, elle a la surprise de recevoir une lettre de sa part. Et là, c’est la stupéfaction: pour la toute première fois, son bel « impossible » lui dévoile ses sentiments au grand jour, en prenant bien soin de terminer sa missive par le dessin d’un cœur rouge. Ce détail n’est pas anodin, j’y reviendrai plus loin.

Prise de panique face à ce revirement de situation et remplie de craintes, Dominique lui répond à son tour, mais en lui apprenant que son conjoint et elle vont se marier sous peu, pour ensuite déménager à l’étranger. « Le mariage, c’était la vérité, mais je ne sais toujours pas pourquoi je lui ai inventé cette histoire de déménagement… sans doute pour me protéger en coupant court à tout ça pour de bon. » Pour aller jusqu’au bout de son élan, elle déchire non seulement la lettre, mais également la seule photo qu’elle possède de Lui.

Les années passent.
Les souvenirs restent.

Un jour, sur une plage des États-Unis, Dominique fige. Elle est certaine de reconnaître le visage devant elle, à seulement quelques pieds… mais l’homme est accompagné d’un petit garçon, une dame n’est pas loin non plus.
Elle ne va pas plus loin, mais a tout de même le temps de remarquer que l’homme en question semble avoir été aussi surpris qu’elle.

Un jour, Dominique décide d’entamer des recherches. Pendant longtemps, très longtemps, elle met toutes les infos qu’elle possède ensemble et cherche sa trace. Des années à éplucher les notices nécrologiques partout au pays. Des centaines et des centaines d’appels en partant d’un simple nom de famille. Des heures à surfer sur Facebook…

Le 18 juin dernier, Dominique nous contacte via message privé. Profondément touché, je lui annonce instantanément que je vais moi-même m’occuper du dossier. Pis là, je me lance. Une, deux, trois, quatre, cinq perches. J’y mets beaucoup de temps, vrai, mais au moins autant de cœur.

Le 25 juin, soit une petite semaine + tard, la pire des nouvelles tombe: on m’apprend le décès de l’individu, une mort survenue il y a déjà 15 ans. J’anticipe l’annonce à partager. En même temps, je me dis qu’il pourra sans doute s’agir d’un baume… éventuellement.

Au téléphone, Dominique laisse courageusement aller sa grande émotion. Elle se désole d’avoir jeté les souvenirs physiques à la poubelle. Elle me rappelle que pour elle, l’idée n’a jamais été de revoir son bel « impossible ». Son objectif était simplement de s’excuser. « Tu sais, juste à penser qu’il est parvenu à trouver un crayon rouge afin de me dessiner son cœur à la fin de sa lettre… ça me brise le cœur d’avoir peut-être brisé le sien… »

J’ai longuement parlé avec elle- en fait, non; je l’ai longuement écoutée. J’ai tenté de lui dire qu’elle avait fait de son mieux, qu’elle avait tenu à lui répondre, qu’elle n’était pas libre, qu’il semblait avoir eu une belle vie par la suite, en tant qu’époux et papa…

Il y a bien peu de choses à faire face à la peine et aux remords. Sinon que d’envoyer des bonnes ondes, et de rappeler à cette chère Dominique qu’elle voie sans doute toute cette histoire d’une façon complètement différente de Lui.
« Le positif, c’est que je le sais dans un ‘ailleurs’ que je lui souhaite beau. Et que désormais, je vais cesser de scruter tous les visages d’hommes de son âge afin d’être certaine que ce n’est pas lui. On pourra s’expliquer quand on se retrouvera en haut. (…) »

J’ai répondu à Dominique qu’elle n’était pas obligée d’attendre d’ici là, en lui suggérant ce que moi je ferais en pareille circonstances. Retourner sur ce même banc de parc de Montréal. Afin de chuchoter, tout doucement, une lettre remplie d’amour rédigée spécialement pour Lui…

 

Certaines personnes prennent grand soin d’un objet précieux en vue d’une occasion spéciale. D’autres ont compris que l’occasion spéciale, c’est d’être en vie…
et qu’il n’y a rien de plus précieux.
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